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Glyphosate : « La Commission l’autorise et met tout sur le dos des États membres » (Corinne Lepage)

News Tank Agro - Paris - Interview n°336796 - Publié le 09/09/2024 à 12:36
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©  Alberto Novi
Corinne Lepage - ©  Alberto Novi

L’avocate Corinne Lepage Avocate @ Huglo Lepage Avocats
annonce avoir déposé, devant le tribunal de première instance de l’Union européenne, un recours contre le règlement qui a prolongé de dix ans l’AMM Autorisation de mise sur le marché du glyphosate, le 02/08/2024.

« Il faut un système de biovigilance extrêmement poussé, que nous n’avons pas. Actuellement, cette responsabilité est renvoyée aux États-membres. Ce sont eux qui ont l’obligation de prendre les mesures pour protéger les zones sensibles, les cours d’eau. Il est impossible, à l’échelle d’un territoire entier, de réglementer de la sorte », déclare l’ancienne ministre de l’Environnement de 1995 à 1997 et l’ex-députée européenne, à News Tank le 09/09/2024.

« J’espère réellement que ce recours aboutisse, car nous avons des arguments assez solides. D’autres associations vont engager la même démarche. En tant qu’ancien ministre de l’Environnement et ministre de l’Agriculture, Michel Barnier arrivera peut-être à trouver le bon équilibre entre les besoins de vivre de nos agriculteurs et les problématiques de pesticides, qui sont une question de santé publique. »


Corinne Lepage répond aux questions de News Tank.

Quelle est l’origine de cette procédure ?

Je saisis en décembre 2023, au nom de trois associations - Agir pour l’environnement Association de mobilisation citoyenne œuvrant pour une planète vivable. Création : février 1997 Mission : - lutter pour la préservation de la biodiversité, et la protection de la nature- mettre en… , le CRIIGEN • Association à but non lucratif, indépendante des compagnies de biotechnologies et de chimie agissant pour la recherche et l’information sur le génie génétique, les pesticides, les perturbateurs… et l’Association des maires anti-pesticides - la Commission européenne Principal organe exécutif de l’Union européenne• Rôles et missions :- Participe à la stratégie globale de l’UE- Propose de nouvelles législations et politiques, assure le suivi de leur mise en… pour demander un réexamen interne du règlement autorisant le glyphosate pour 10 ans. C’est une nouvelle procédure ouverte au monde associatif au niveau communautaire. La Commission a tiré les délais, et le 26/06/2024, dernier jour de son délai, je reçois un courrier m’indiquant que les associations concernées sont recevables, c’est-à-dire qu’elles remplissent bien les conditions voulues pour qu’elles puissent saisir la Commission, mais que mon recours n’est pas fondé. Je saisis donc le tribunal de l’UE pour déposer un recours à cette décision, le 02/08/2024. La Commission a jusqu’au 10/10/2024 pour me répondre sur cette première requête.

Elle demandera peut-être un délai supplémentaire. Initialement, elle devait me répondre avant le 15/05/2024, puis elle a étiré jusqu’au 26/06/2024. J’espère une décision de première instance dans le courant de l’année 2025.

Quelle suite espérez-vous pour ce recours ?

Tout d’abord, j’espère réellement que ce recours aboutisse, car nous avons des arguments assez solides. D’autres associations engageront la même démarche. Nous sommes simplement les premiers à tirer. D’autre part, comme c’est à l’échelle européenne, il n’y a pas de disruption en défaveur de nos agriculteurs, c’est-à-dire que les agriculteurs français ne sont pas plus mal lotis que les autres agriculteurs.

Il y a un réel problème de santé publique avec le glyphosate. Il y a de plus en plus d’études allant dans ce sens, comme le rapport de l’Inserm • Établissement public à caractère scientifique et technologique et institut de recherche spécialisé dans la recherche médicale • Création : juillet 1964 • Missions : améliorer la santé humaine… de 2022 qui est accablant, pour ne prendre que cet exemple, qui n’est pas une association écologiste, violente. Les agriculteurs sont les premières victimes des pathologies liées aux pesticides. Trois d’entre elles - le lymphome non hodgkinien, la maladie de Parkinson et le cancer de la prostate - sont considérées comme maladies professionnelles. Le plan Écophyto présenté en mai 2024 visait trois autres pathologies susceptibles d’être fortement en lien avec les pesticides. On voit bien que ce n’est pas seulement un problème d’environnement. Le sujet majeur est bien sanitaire.

On voit bien que ce n’est pas seulement un problème d’environnement. Le sujet majeur est bien sanitaire »

Ce n’est pas une question française, mais européenne. Le gouvernement français a donné son avis en temps et en heure sur la décision de la Commission, avis qui n’en était pas un d’ailleurs. Je ne vois pas le Premier ministre s’embarrasser aujourd’hui de ce sujet. En revanche, Michel Barnier a été ministre de l’Environnement et ministre de l’Agriculture. Il connaît bien les problématiques. Peut-être arrivera-t-il à trouver un bon équilibre que nous n’avons pas aujourd’hui, entre les besoins des agriculteurs, et notamment leur besoin de vivre, alors que le réchauffement climatique a des effets de plus en plus délétères sur l’agriculture, et les problématiques de pesticides, qui ne sont pas une question d’environnement mais de santé publique.

Si l’enjeu sanitaire autour du glyphosate est aussi prégnant, comment expliquer son renouvellement par la Commission européenne ?

Le renouvellement du glyphosate peut s’expliquer par son efficacité. C’est un produit très pratique. Bayer Monsanto est une organisation extrêmement puissante. Cela fait d’ailleurs partie de nos arguments. La procédure suivie pour arriver à cette autorisation a débuté par un groupe d’experts composé uniquement du monde industriel, puis un groupe composé d’experts des États membres puis l’Efsa • Agence de l’Union européenne qui fournit le fondement scientifique des législations et des règlements destinés à protéger les consommateurs européens des risques liés à l’alimentation, tout au… . Ils se sont appuyés à 99,6 % sur des études industrielles. Ils n’ont retenu comme pertinent que 0,4 % des études académiques et des méta-études publiées. On ne me fera jamais croire que toutes les études publiées dans des revues à comité de lecture, y compris les méta-études sur lesquelles s’appuie la jurisprudence américaine, ne valent rien. Ce n’est pas possible.

L’autorisation de 10 ans est très décourageante pour chercher autre chose »

Il y a un autre souci. Dans son rapport, l’Efsa met en lumière toute une série d’insuffisances graves, de lacunes en matière d’information, notamment sur les impacts du produit. L’agence n’en tire pas pour autant une conclusion en disant que l’autorisation ne peut pas être délivrée. Ce qui est retors, c’est que la Commission donne l’autorisation, sur 10 ans - ce qui est très décourageant pour chercher autre chose - et met tout sur le dos des États membres. Ce sont eux qui ont l’obligation de prendre les mesures pour protéger les zones sensibles, les cours d’eau, etc. C’est impossible. Un produit, on l’autorise ou non. Mais il est impossible, à l’échelle d’un territoire entier, de réglementer de la sorte. Il faut un système de biovigilance extrêmement poussé, que nous n’avons pas. Actuellement, cette responsabilité est renvoyée aux États membres, la Commission leur dit « débrouillez-vous ». En revanche, elle peut leur reprocher leurs manquements.


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